Âgé de 49 ans, Arnaud Rousseau a été élu à la présidence de la Fnsea, le 13 avril. À la tête d’une exploitation céréalière de 700 ha en Seine-et-Marne, il succède à Christiane Lambert. L’actuel président de la Fop, et patron du groupe Avril, livre ses convictions et son projet. Interview.
Votre élection marque-t-elle pour vous un aboutissement ? Ou bien simplement une étape ?
- Arnaud Rousseau : «Ni l’un, ni l’autre. C’est la poursuite de mon engagement pour ce métier que j’ai choisi, celui d’agriculteur. J’ai autour de moi une équipe solide, compétente et plurielle, à l’image de notre agriculture et de nos filières. J’ai pleine confiance dans le Bureau et le Conseil d’administration nouvellement élus, avec l’arrivée de nouveaux visages pour renouveler nos instances.
Je sais aussi pouvoir m’appuyer sur un vaste réseau d’élus, au masculin et au féminin, et de collaborateurs engagés à nos côtés. Cette communauté de talents fait la richesse du réseau Fnsea, et je compte bien travailler en collaboration permanente avec tous, pour accompagner les transitions de l’agriculture et la faire rayonner. C’est collectivement que nous porterons les ambitions et revendications de la Fnsea et de son réseau».
Solidarité, équipe, collectif
- Les observateurs qui ont étudié votre Cv établissent un parallèle avec l’un de vos prédécesseurs, Xavier Beulin. Vous avez un parcours presque similaire, Fnsea, Fop, Avril… La comparaison s’arrête-t-elle là ?
- A. R. : «J’ai eu la chance de côtoyer Xavier Beulin, c’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai fait mes débuts dans le syndicalisme agricole, en rejoignant la Fop dès 2005. Je comprends que la comparaison soit tentante, avec quelques similarités dans nos parcours, comme notre engagement à la Fop et donc dans la gouvernance d’Avril. Pourtant, la comparaison s’arrête là. Nos parcours personnels et professionnels, nos personnalités sont différents.
À 49 ans, j’ai la chance d’avoir encore mes parents. Ils m’ont accompagné, conseillé, orienté quand j’ai choisi ce métier, et me suis installé en 2002. C’est structurant dans la construction d’un parcours de vie. Xavier, lui, n’a pas eu cette chance. Autre exemple, je n’ai pas été président de Chambre d’agriculture, et lui n’a pas été maire d’une commune. Je pourrais multiplier les exemples...».
- Que signifie l’engagement syndical pour vous ? Et plus globalement l’engagement ?
- A. R. : «L’engagement syndical, c’est le fil rouge de tout mon parcours. C’est d’abord un héritage familial que j’ai reçu très tôt, mon père étant lui-même très engagé. C’est une valeur cardinale qui me définit, et m’inspire aussi dans mon mandat de maire. C’est l’esprit de solidarité, l’esprit d’équipe, le sens du collectif. Je me suis engagé dès 2005 dans le syndicalisme, d’abord au niveau local, au sein de la fédération de Seine-et-Marne, pour défendre un métier que j’aime, qui me passionne et dans lequel je crois profondément. Nous avons la chance de vivre dans un pays aux multiples atouts. Nous avons tout pour réussir».
- Vous êtes-vous préparé à cette fonction ?
- A. R. : «Je ne suis pas complètement nouveau au sein du syndicalisme agricole. J’y suis engagé depuis 2005, y ai exercé les fonctions de secrétaire général puis de président de la Fdsea de Seine-et-Marne, avant de devenir administrateur de la Fnsea en 2014. Il existe tout un processus de maturation, assez long, pour comprendre notamment les enjeux de production et de territoires : c’est ce qui permet de dialoguer et d’aboutir à un consensus qui engage. Plus encore lorsque l’on défend un syndicalisme à vocation économique.
Cet apprentissage à l’intérieur de plusieurs instances est nécessaire pour grandir au sein d’une organisation comme la Fnsea. Quant au passage de témoin entre Christiane Lambert et moi-même, il s’est fait dès le mois de février : elle m’a associé à sa fonction, aux prises de décisions, aux rendez-vous de premier plan comme celui avec le président de la République avant le Salon de l’agriculture».
Préserver des capacités de production
- Quel bilan tirez-vous de la présidence de Christiane Lambert ?
- A. R. : «En tant que premier vice-président, j’ai pleinement participé aux décisions et orientations qui ont été prises sous la présidence de Christiane Lambert. Elle a été une présidente volontaire combative, pugnace, à l’image de son parcours professionnel et syndical. Comme elle, dans les chantiers qui m’attendent, je combattrai sans relâche, avec l’ensemble du réseau, pour arrêter le déclassement de l’agriculture française».
- Ne craignez-vous pas que vos actions alimentent encore la vision d’une Fnsea “productiviste” ?
- A. R. : «Ne nous trompons pas sur les termes. “Production” et “productivisme” sont deux concepts bien distincts. Préserver et développer nos capacités de production est essentiel pour l’agriculture française et européenne. Malgré les nombreuses alertes que la Fnsea, et d’autres organisations comme le Copa, ont lancées, nous sommes devenus de plus en dépendants des pays tiers.
En France, la moitié des poulets que nous mangeons est importée, nous dépendons des pays européens et des pays tiers pour une grande partie de nos fruits et légumes. Notre production et notre filière sucrière sont mises à mal en raison de décisions politiques qui se sont révélées incohérentes, en créant d’importantes distorsions de concurrence. Je pourrais, là encore, multiplier les exemples. Je pense qu’il faut faire mieux comprendre à la société tous les efforts qui ont été réalisés, qui restent méconnus d’un grand nombre. Oui, il est possible de concilier production et transition agroécologique ! Ce chemin de cohérence et d’exigence existe, j’en suis convaincu. Nous le portons à la Fnsea, avec la conviction que ce n’est pas dans la décroissance que nous gagnerons notre salut économique, social et environnemental».
- Allez-vous pleinement vous consacrer au poste de président de la Fnsea ?
- A. R. : «Mes fonctions chez Avril sont indissociables de mon engagement syndical et de ma vision d’un syndicalisme à vocation économique. C’est bien parce que je suis agriculteur et administrateur de la Fop, association spécialisée de la Fnsea, que je siège chez Avril en tant que représentant des producteurs agricoles. Ces fonctions sont pleinement complémentaires et constituent même un atout au service de notre projet.
Mon mandat me permet d’être en prise directe avec les réalités du terrain sur toute la chaîne de valeur, du champ à l’assiette. Je précise que la fonction de président du conseil d’administration d’Avril est un mandat non opérationnel. En tant que premier représentant du monde agricole, mon rôle est de veiller à préserver l’héritage des fondateurs, tout en garantissant le développement d’un groupe qui rayonne en Europe et dans le monde, et crée de la valeur pour le monde agricole, aussi bien dans le domaine animal que végétal».
Un président de terrain
- Ne craignez-vous pas de passer pour le représentant des agro-industries ?
- A. R. : «On ne devient pas président de la Fnsea avec des craintes, mais avec un projet et une vision. D’abord, je suis agriculteur, et c’est à ce titre que j’ai été élu président de la Fnsea. Je suis installé depuis 2002 sur la ferme familiale de 339 hectares, exploitée en grandes cultures depuis cinq générations, et reprise de mes parents.
J’y ai développé les légumes de plein champ et l’irrigation. Avec ma femme, elle aussi agricultrice exploitante, et quatre salariés, nous valorisons près de 700 hectares de cultures en Île-de-France. Je suis fier et reconnaissant envers nos familles de la réussite de nos fermes. N’ayons pas honte d’entreprendre ! Ensuite, je rappelle qu’au sein de la Fnsea, les décisions sont prises de façon collective : seul le conseil d’administration est souverain. C’est lui qui détermine les orientations, en tenant compte des hommes, des productions, des territoires. La Fnsea rassemble une très grande variété de productions, de tailles et de types d’exploitations. C’est cette diversité même qui fait toute sa force. La force de la Fnsea c’est d’être un tout».
- Quel type de président de la Fnsea serez-vous ?
- A. R. : «Je serai d’abord au service des adhérents, leur premier représentant. Un président de terrain, qui va à leur rencontre, et est à l’écoute de leurs préoccupations et de leurs difficultés. Je veux rassembler autour d’une vision partagée et d’un collectif dans lequel la place des femmes et des hommes est primordiale, de même que celle des territoires, et où il faut cultiver le goût d’entreprendre. Je serai un président qui fixe le cap, qui s’entoure et qui délègue en confiance.
Je resterai attentif et connecté au réseau, parce que l’unité sera notre premier atout pour faire front et arrêter le déclassement de notre agriculture. Je m’inscrirai dans la tradition réformatrice de notre syndicat, et engagerai la réflexion collective sur une nouvelle gouvernance plus moderne, plus agile, plus collégiale et ancrée dans les territoires. J’ai déjà quelques pistes de réflexion en tête, et les partagerai au conseil d’administration lors de son prochain séminaire. Enfin, je serai un président responsable et exigeant vis-à-vis des pouvoirs publics. Je serai un interlocuteur responsable et exigeant. En tant que corps intermédiaire, nous devons savoir garder nos distances, c’est la garantie de notre indépendance. Et il nous faut savoir instaurer un rapport de force avec celles et ceux qui nous gouvernent à Paris et à Bruxelles. Les belles paroles restent trop souvent lettre morte : je m’attacherai à ce qu’elles se traduisent en actes. Nous attendrons des décisions qui traduisent une ambition politique forte pour l’avenir de notre agriculture. Nous serons, par exemple, à la manœuvre pour rechallenger Farm to Fork : je partage une partie de ses objectifs agroenvironnementaux, mais j’estime qu’il ne doit pas être facteur de décroissance pour l’agriculture française et européenne».
- Quels sont vos chantiers à court, moyen et long terme ?
- A. R. : «À court terme, les sujets les plus préoccupants et sur lesquels je souhaite avancer rapidement sont la mise en œuvre de la nouvelle Pac, la directive “émissions industrielles” (Ied), les accords commerciaux internationaux, et notamment le Mercosur. C’est aussi la préservation de nos moyens de production, notamment l’accès aux phytosanitaires, le stockage de l’eau. N’oublions pas la stratégie nationale bas carbone avec ses conséquences pour la pérennité de l’activité de nos éleveurs et de l’élevage français.
À moyen terme, la Fnsea devra se pencher sur la préparation du cadre européen pour 2024, avec en ligne de mire les élections européennes. Il nous faut conserver des relais d’influence au Parlement européen pour infléchir les politiques communautaires. À plus long terme, il nous faut soutenir la souveraineté agricole, et donc aborder les enjeux de souveraineté alimentaire et énergétique. Il y a urgence à accélérer notre travail sur le renouvellement des générations.
Enfin, il nous faut écrire un nouveau pacte avec la société française pour ancrer la compréhension de la nécessaire cohérence entre trajectoire agricole et attentes alimentaires, environnementales, économiques de nos concitoyens... et inscrire l’agriculture comme solution aux défis actuels».
- Et votre priorité ?
- A. R. : «En tant que président de la Fnsea, mon devoir est de préparer l’avenir. À ce titre, notre premier défi est celui du revenu, que nous devons garantir à chaque agriculteur pour assurer la pérennité de nos métiers et donc de notre agriculture. Comment, sinon, attirer des jeunes et des nouveaux profils pour prendre la relève de nos 166.000 collègues qui partiront à la retraite d’ici dix ans ?
Le renouvellement des générations est une question cruciale. Préparer l’avenir, c’est aussi travailler à celui de notre syndicat, en veillant à l’émergence de nouveaux visages, avec, notamment plus d’élues dans notre réseau, à l’image de la féminisation de nos métiers».