Ce n’était pas la première visite en Lorraine cette année pour Damien Lacombe. Mais après l’optimisme affiché au printemps, la rencontre à Lemud le 20 octobre a laissé les producteurs sur leur faim.
C’était un engagement des dirigeants de la coopérative Sodiaal. À l’issue du blocage de la fromagerie de Bénéstroff, le 30 septembre, les manifestants avaient obtenu le principe d’une rencontre avec Damien Lacombe. À l’ordre du jour, la revalorisation du prix du lait payé aux producteurs.
Il faut rappeler que depuis plusieurs mois entre les représentants des producteurs de lait et la coopérative, il y a débat sur le prix du lait. Le tout dans un contexte où l’écart de prix entre la France et le reste de l’Europe ne cesse de se creuser au détriment des producteurs nationaux.
Valorisation de la matière première
Lorsque Damien Lacombe, président du conseil d’administration de Sodiaal, s’est rendu à Lemud, le 20 octobre, il était donc attendu sur le prix du lait. En effet, avec des coûts de production qui explosent sur les exploitations, la tension est palpable, avec des échanges parfois musclés entre les producteurs et leur coopérative.
Consciente de la difficulté des éleveurs, la coopérative a largement développé les ressorts de sa stratégie d’entreprise, dans un contexte en pleine évolution. Et dans ce domaine, les choix antérieurs pèsent encore lourdement dans la performance de l’entreprise. Ainsi, avant 2010, la coopérative assurait son chiffre d’affaires avec un mix produit trop orienté sur des filières de produits basiques à faible valeur ajoutée. Autre handicap, Sodiaal a recueilli entre 2010 et 2016,
«8.000 producteurs supplémentaires» par le biais de fusions, «jouant pleinement son rôle de coopérative pour sauver des territoire laitiers». Cette évolution s’est accompagnée de reprises d’usines qu’il a fallu moderniser. Mais, à l’exemple de la reprise d’Entremont, la coopérative souhaitait maîtriser une gamme de produits bien mieux placés en termes de potentiel de valeur ajoutée. Une stratégie parfois prise à revers dans un contexte international où le beurre et la poudre de lait peuvent être, comme aujourd’hui, porteurs de potentiel de forte valeur ajoutée.
Les efforts de restructuration de Sodiaal ne sont donc pas encore récompensés à la hauteur attendue par ses dirigeants. Et les euros qui tardent à arriver dans la cour des fermes conduisent la Fédération Nationale des Producteurs de Lait (Fnpl), association spécialisée de la Fnsea, à fustiger la première coopérative laitière de France, avec des échanges animés au sein même de la profession. Ainsi, le syndicalisme agricole reconnaît l’inertie des choix stratégiques dans les entreprises de l’agroalimentaire en général, mais avoue la nécessité d’une pression constante sur les filières pour que les euros parviennent jusqu’aux producteurs.
Pour la Fnpl, «la loi oblige les acteurs de l’aval à respecter la valorisation de la matière première agricole (Mpa)» dans les négociations tout au long de la filière. Les hausses acceptées par la distribution au titre des Mpa doivent donc revenir intégralement aux agriculteurs.
Autre visite en Lorraine
Ce n’était pas la première visite en Lorraine cette année pour Damien Lacombe. Début mai, la section Est du groupe coopératif avait accueilli le Président du Conseil d’Administration de Sodiaal à Villers-lès-Nancy, à l’occasion de son assemblée générale. Nous étions alors en pleine négociation tarifaire entre les acteurs de l’agroalimentaire et la grande distribution. Le contexte rapporté alors par Damien Lacombe invitait à l’optimisme. Il constatait à l’occasion d’un entretien à la presse agricole départementale, «une année particulière, car pour la première fois, l’offre mondiale de lait ne suit pas la demande, et ça va durer. Cela redonne du poids au producteur pour faire valoir le prix». Une tendance que Damien Lacombe qualifiait de «changement de paradigme», persuadé qu’une «marche va pouvoir être montée». La première tranche de négociation tarifaire, fin février, avec la grande distribution, avait permis de «faire passer une hausse de 4 à 6 %», expliquait alors Damien Lacombe avant d’annoncer que le groupe coopératif réclamait «de nouvelles évolutions entre 10 et 15 %, à échéance rapprochée» depuis que la guerre en Ukraine a précipité des augmentations de coûts «considérables».
Cinq mois plus tard, l’objectif de la coopérative est toujours le même, rémunérer ses producteurs en adéquation avec son environnement concurrentiel.
Une nécessité selon Fabrice Couturier, «pour avoir encore des producteurs demain, il faut les rémunérer en intégrant leurs coûts de production». Le président de la Fdsea refuse le principe de «producteur variables d’ajustement» dans la chaîne de valeur. Il pointe la nécessité pour les consommateurs, «d’accepter, pour la production laitière comme pour toutes les autres, de payer les produits alimentaires en respectant le travail des agriculteurs, leur engagement au service de la qualité et la valeur des produits mis sur le marché».
Dans ce combat pour la juste rémunération des producteurs de lait, la Fnpl annonce une vaste opération, sur l’ensemble du territoire national, pour demander aux parlementaires de soutenir l’application de la loi Egalim.