Le «Pacte vert», qui a guidé les politiques européennes pendant la mandature qui s’achève, a été vivement critiqué devant les candidats au prochain scrutin du 9 juin. Les agriculteurs du Grand Est ont formulé le souhait de voir les Institutions européennes créer les conditions favorables au développement des moyens de production et au renouvellement générationnel.
La vague de contestations historique que vient de connaître le monde agricole européen a marqué un tournant politique. Plus que jamais, en perspective du scrutin du 9 juin au Parlement européen, l’agriculture a pris place au cœur des enjeux de la campagne électorale.
Le 27 mai, Frsea et Jeunes Agriculteurs du Grand Est avaient invité les représentants des principales formations politiques candidates aux élections européennes à présenter leur programme et leur vision de la place de l’agriculture à l’issue d’une visite sur l’exploitation de Dominique Jacques à La Maxe sur les rives de la Moselle.
Ce n’est pas la première initiative de la Frsea en vue de ce scrutin. Fabrice Couturier, son président, avait déjà invité les organisations professionnelles membres du Caf régional à débattre le 24 novembre à Morhange, des enjeux de cette échéance électorale majeure.
À seulement treize jours du rendez-vous aux urnes, quatre organisations avaient répondu présentes à l’invitation du syndicalisme agricole. Et sur scène, trois seulement ont été représentées, la 4e, Europe Écologie ayant finalement décliné.
Pour la liste “Besoin d’Europe” (Renaissance - MoDem - Horizons), menée par Valérie Hayer, c’est Bérangère Abba (17e position) qui officiait devant les représentants de la Frsea et des Jeunes Agriculteurs du Grand Est.
Valérie Deloge (20e) représentait la liste “La France Revient” (Le Rassemblement National), menée par Jordan Bardella. Et Vincent Leglantier (55e) représentait la liste “La Droite Pour Faire Entendre La Voix De La France En Europe” (Les Républicains), menée par François-Xavier Bellamy.
Dans la salle, une trentaine d’agriculteurs venus de Champagne-Ardenne, de Lorraine et d’Alsace.
Le président de la Frsea a inscrit son propos introductif, avant d’entendre les candidats, dans le contexte du mouvement de contestation d’une profession agricole qui attend des futurs élus qu’ils fassent «de la souveraineté agricole et alimentaire, un enjeu stratégique et une ambition claire pour les prochaines années». Fabrice Couturier soulignait «la nécessité de développer la capacité à produire» et de «doter les agriculteurs des moyens de production adéquats pour assurer leur rémunération».
Les règles du jeu de ce grand oral ont été données par Xavier Bailly, président des Jeunes Agriculteurs du Grand Est. «Une douzaine de minutes pour chacun avant de passer aux questions-réponses avec la salle».
Pas de surprise ni de scoop dans la première partie de la séance. Les interventions apporteront la confirmation des grandes orientations déjà connues pour ces formations politiques de premier rang, dont la communication de campagne est bien relayée par les médias.
C’est dans la seconde partie de l’exercice que les arguments devront être affûtés. Les questions de la salle sont précises, parfois très techniques. La conviction des orateurs portant les préoccupations des campagnes du Grand Est est forte, même parfois passionnée. Voilà pour la forme. Quant au fond, rien ne distingue les paysans du Grand Est du reste du territoire national.
Améliorer le revenu
Le “Pacte vert”, qui a guidé le développement des politiques européennes pendant la mandature qui s’achève, s’est traduit par un véritable «tsunami» de réglementations, vécu par les agriculteurs comme «un empilement de contraintes» «très peu lisibles, sans cohérence avec les autres politiques européennes».Par exemple «dans le domaine commercial et la négociation des accords bilatéraux», et «sans aucune mesure pour améliorer leur revenu». Plusieurs représentants des Jeunes Agriculteurs alertent sur «l’interrogation des candidats à l’installation» dans ce contexte «manquant singulièrement de perspectives encourageantes».
Les questions, parfois les invectives, portées à l’attention des candidats, se trouvent dans le droit fil des résultats d’une enquête Cevipof-Agro Toulouse-Réussir présentés le 28 mai. Parmi «les revendications les plus importantes» du mouvement des agriculteurs, cinq thèmes apparaissent comme prioritaires aux yeux des 1.258 répondants : «plus de cohérence entre les réglementations» (57 %) ; la «protection des marchés nationaux» contre la concurrence européenne et des pays tiers (50 %) ; «l’allègement des normes environnementales» (49 %) ; la «simplification» des procédures de la Pac (48 %) ; et enfin le «strict respect de la loi Egalim» (47 %).
Deux des mesures phares de l’exécutif, en réponse à la crise, décrochent des scores plus faibles : la baisse de la fiscalité sur le Gnr (29 %) et la mise en place de prix planchers (17 %), annoncée par Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture.
Enfin, apparaissent en queue de peloton d’autres thèmes mis en avant par les syndicats agricoles : aides aux agriculteurs en difficulté (23 %), accélération des paiements des aides (21 %), allègement des procédures pour le stockage de l’eau (17 %) et les mesures fiscales en faveur de l’installation (15 %).
Inflexions majeures
Si le bilan des cinq années de la mandature écoulée a été sévèrement fustigé, Xavier Bailly a appelé les candidats à «ne pas douter de l’envie d’entreprendre et d’investir dans nos territoires». Mais la pérennité de cette dynamique agricole sera conditionnée à des inflexions majeures. «Le Parlement européen et les autres Institutions doivent tirer les leçons» de la grogne paysanne prévient la salle, lasse de «l’opposition entre d’une part, l’agriculture et d’autre part, l’environnement».
Une volonté de pragmatisme également du côté du président de la Frsea, «nous avons profité de la politique agricole commune, mais nous avons contribué à la construction de l’Europe sur des valeurs partagées». Il formulait enfin le souhait de voir «les institutions européennes créer les conditions favorables au développement des moyens de production et au renouvellement générationnel, alors que la moitié des agriculteurs français seront à la retraite en 2030».
Sondage : Les agriculteurs forment «un isolat électoral encore repérable»
Environ 46 % des agriculteurs répondants de moins de 40 ans indiquent leur intention de voter pour une liste d’extrême droite* aux élections européennes du 9 juin, d’après une enquête Cevipof-Agro Toulouse-Réussir dévoilée le 28 mai. Environ 37 % des jeunes agriculteurs pensent voter pour la liste Rn, soit davantage que la moyenne des agriculteurs (26 %) et que l’ensemble des Français (30 %). Par ailleurs, d’après ce sondage mené par courriel auprès de 1.258 exploitants, «les proches de la Coordination rurale n’hésitent plus à affirmer leur intention de vote pour Jordan Bardella», la tête de liste Rn (47 %), de même que pour l’ensemble des listes d’extrême droite (62 %). Les sympathisants Fnsea-Ja se répartissent équitablement entre Lr (25 %), Renaissance (25 %) et le Rn (24 %). Sans surprise, Ee-Lv arrive en tête chez les militants de la Confédération paysanne et du Modef (39 %), suivi par Lfi (22 %). Dans une note du Cevipof analysant les résultats de cette enquête, François Purseigle (Agro Toulouse) et Pierre-Henri Bono (Cevipof) notent que les agriculteurs pris dans leur ensemble forment «un isolat électoral encore repérable», caractérisé notamment par leur «tropisme de droite» : 14 % d’intentions de vote pour Lr (contre 6,5 % pour l’ensemble des Français), 7,4 % pour Reconquête (contre 4 %) et 7,7 % pour la liste Alliance rurale de Willy Schraen (contre 0,9 %).
* Rn, Reconquête, Debout la France et les Patriotes