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Nourrir le «goût d’entreprendre»

Benoît Lévêque, secrétaire général ; Corinne Vanverte, directrice et Fabrice Couturier, président de la Frsea ; Béatrice Moreau, vice-présidente Région Ge ; Hervé Lapie, secrétaire général Fnsea et Anne Bossy, DRAAF GE. Photo Jean-Luc Masson
Benoît Lévêque, secrétaire général ; Corinne Vanverte, directrice et Fabrice Couturier, président de la Frsea ; Béatrice Moreau, vice-présidente Région Ge ; Hervé Lapie, secrétaire général Fnsea et Anne Bossy, DRAAF GE. Photo Jean-Luc Masson

Face à la perspective du départ en retraite de la moitié des agriculteurs en moins de dix ans, avec peu de solutions de reprises, il y a urgence à agir pour favoriser des transmissions en direction des jeunes. La Frsea Grand Est veut «encourager le goût d’entreprendre». Grand angle, lors de son assemblée générale.

La région Grand Est compte 66.000 actifs agricoles, dont 37.000 chefs d’exploitation. La chute drastique des effectifs mesurée entre les deux derniers recensements généraux agricoles (2010-2020) se poursuit.

La pyramide des âges montre que la moitié des exploitants seront fondés à faire valoir leur droit à la retraite d’ici 2030. La diversification des activités agricoles est en plein développement, exigeant de nouvelles compétences. «Nous sommes confrontés à deux défis majeurs, indiquait Fabrice Couturier, le 16 juin, à Laxou, en présidant sa première assemblée générale de la Frsea Grand Est. Rendre nos métiers attirants pour la jeune génération et faire passer le message de leur attractivité aux élus politiques». Cette entrée en matière plaçait immédiatement le projecteur sur la thématique du jour : «Encourager le goût d’entreprendre en agriculture», sujet abordé sous forme d’une table ronde.

«Il nous reste cinq ans»

«La priorité des priorités est le renouvellement des générations, martèle Thierry Bussy. Il nous reste cinq ans.  Nous sommes loin de pouvoir réussir cet impératif : d’une installation pour trois départs aujourd’hui, il nous faudrait passer à deux sur trois». Le président de la Safer Grand Est déplore que l’outil qu’il préside «ne maîtrise pas assez d’exploitations».

Il salue au passage la convention «novatrice» signée avec les Ja et la Région «pour porter le foncier et le capital d’exploitation». Une autre problématique se situe dans le cas des sociétés «très difficiles à diviser et à transmettre à plusieurs». Thierry Bussy appelle de ses vœux «des mesures incitatives sur la fiscalité» ainsi «qu’une action forte en direction des cédants, département par département, afin qu’ils transmettent à des jeunes». Et de se remémorer «ce qui fonctionnait bien dans les années 80 : les opérations groupées d’aménagement foncier», les fameuses Ogaf. L’urgence est perceptible, d’autres chiffres font froid dans le dos. 28 % des agriculteurs âgés de plus de 60 ans n’auraient pas de repreneurs et 25 autres % auraient une perspective potentielle, mais sans avoir décidé…

60 % des agriculteurs en société

Vice-présidente du Conseil régional, Béatrice Moreau, alors élue consulaire, a contribué à la mise en place des Points Info Transmission, une démarche inédite que le Grand Est a initiée. Pour elle, il faut aller plus loin en créant «le parcours à la transmission», en travaillant plus précisément «l’aspect humain» négligé jusqu’alors. Thierry Bussy estime que l’action doit être collective, toutes Opa confondues, pour la rendre efficace.

Une question sous-jacente se situe dans l’installation hors cadre familial. «Disposons-nous de tout l’arsenal sociétaire nécessaire ?» questionne Fabrice Couturier. S’il n’y avait qu’un fin connaisseur du dossier… il serait celui-là. Jean-Louis Chandellier, directeur général adjoint de la Fnsea et directeur de Gaec et Sociétés, estime qu’à terme, seul un agriculteur sur quatre bénéficiera d’une succession familiale. Les trois autres se tourneront vers des jeunes extérieurs, des moins jeunes ou de l’agrandissement.

L’expert estime que l’organisation du capital foncier et du capital d’exploitation n’est pas efficiente en France. «Le capital foncier doit être porté par des gens dont c’est le métier : personnes physiques ou groupe de propriétaires. Afin de ne pas augmenter le loyer, nous proposons un accompagnement fiscal, type allégement de Tfnb». Pour le capital d’exploitation «il n’existe aucun outil de portage, or il y a des moyens d’y parvenir». Si le modèle Labeliance n’a pas fonctionné en agriculture, il y aurait matière, pour Jean-Louis Chandellier, à s’en inspirer. «Un appel en capital sur huit ans, avec une prise de risques».

Actuellement, 60 % des agriculteurs sont associés en société, ce qui représente les trois-quarts de la production agricole. Si les Gaec et Earl dominent encore, d’autres formules, type Scea ou Sas, montent en puissance.
«Ce constat m’interpelle, confie le juriste. Car nous avons construit des sociétés à l’image de l’agriculture familiale. Serions-nous passés à côté de quelque chose ?». La Sas, par exemple, présente des avantages, en particulier pour le statut social du salarié. Jean-Louis Chandellier veut dépasser la vision de l’agriculteur opposé à apporter du capital à des tiers pour les accompagner. «Nous voyons apparaître des montages holdings différenciant capital et exploitation, dans un objectif d’optimisation, mais pas seulement. Elles permettent de mobiliser du capital extérieur pour développer et financer l’exploitation. Un effet de levier peut être actionné, en distinguant la détention du capital du pouvoir de décision, ce qui constitue un gros avantage». Sourire aux lèvres, le Dga de la Fnsea confesse «cela nous perturbe, nous n’avons pas l’habitude».

«Droit à l’essai»

Thierry Bussy complète en remarquant de grosses différences d’organisation entre pays européens. «En France, nous disposons d’outils qui fonctionnent bien, mais il faut les mettre au goût du jour». Le président de la Safer déplore qu’une partie des fermes échappe aux contrôles et qu’elles sont valorisées «à 100 % en prestations». Ce qui repose l’éternelle question du statut de l’exploitant, même si la perspective d’une loi foncière digne de ce nom s’est éloignée. Jean-Louis Chandellier revient aux fondamentaux défendus par le syndicalisme, et qui donnent droit à un accompagnement : «exercer une activité agricole ; par une personne physique ; maître de son exploitation ; diplômée et que cette activité soit véritable». Il existe beaucoup de situations où cela n’est pas le cas, «mais ils font aussi de l’agriculture, derrière chaque projet, il existe une histoire et un territoire que nous ne pouvons ignorer»  concède l’intervenant.

Le troisième témoin de la journée, Xavier Bailly, milite pour une période d’anticipation «avec un droit à l’essai». Le patron des Ja du Grand Est s’interroge aussi sur la méthode à inventer «pour amener nos salariés à rentrer dans nos structures, lorsqu’ils sont de qualité, une façon de les fidéliser, peut-être dans des sociétés annexes». Xavier Bailly imagine aussi une période de cinq à six ans précédant la retraite, qui préparerait le cédant à cette sortie, par exemple en retournant au statut de salarié. Avec le double avantage de réduire sa pression personnelle, tout en passant le relais en douceur.

Il y a donc du grain à moudre sur le dossier de la transmission. «La défense du revenu et de nos moyens de production reste le premier objectif du syndicalisme», rappelle Fabrice Couturier qui refuse toute baisse de productivité. Cette table ronde a voulu aussi lever quelques tabous comme le faible nombre d’enfants d’agriculteurs qui veulent reprendre et le poids du célibat. «Nous devons finaliser un constat exhaustif et ramener du sang neuf» a conclu le président de la Frsea.