La crise agricole se confirme être inscrite dans le temps long. Si le ministre de l’Agriculture n’est pas venu en Moselle les mains vides, beaucoup reste encore à faire pour retrouver la sérénité dans les campagnes. En plus du travail de fond sur la simplification, le sujet des prix agricoles devient la priorité.
Vendredi 15 mars, le préfet a annoncé officiellement la visite du ministre de l’Agriculture en Moselle pour le lundi suivant. Le choix de Marc Fesneau s’est porté sur une région de polyculture-élevage où la problématique du retournement des prairies est prégnante. L’ensemble des départements du Grand Est se voient soumis au régime d’autorisation de retournement de prairies permanentes depuis l’arrêté du 31 octobre 2023. Les agriculteurs, qui ont retourné de la prairie permanente entre le 15 mai 2023 et le 31 octobre 2023, sont contraints à l’obligation de régulariser leur situation.
Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, la profession agricole rumine sa colère. Pour preuve, la tension entre le syndicalisme majoritaire et le plus haut niveau de l’État.
La venue de Marc Fesneau sur l’exploitation de la famille Choné à Oron, s’est donc organisée dans un climat où la colère est toujours palpable dans les rangs des agriculteurs.
Impossible de ne pas voir, ce lundi 18 mars, le dispositif de sécurité plutôt musclé, s’afficher aux abords de l’exploitation agricole de ce petit village du Saulnois.
Du côté de la profession agricole, au-delà du cadre strict des invitations lancées par le protocole, les élus de la Fdsea se sont, eux aussi, déplacés en nombre pour accueillir le ministre. Et si tout le monde s’est bien tenu, chacun convient que les conditions de sortie de la crise agricole ne sont pas acquises pour le gouvernement.
Des avancées
Après la visite de l’exploitation agricole, place à la séquence de travail. Marc Fesneau s’est consacré, durant près de deux heures, à un échange direct avec les élus agricoles mosellans.
Dans un minutage presque parfait, le ministre a pu vendre les propositions de simplification officiellement adoptées trois jours plus tôt par la Commission européenne.
Le règlement des plans stratégiques de la Pac est réouvert de manière ciblée afin d’alléger les exigences environnementales de la conditionnalité, «le fruit de plusieurs mois de travail» a souligné le ministre.
Concrètement, «des modifications sont possibles sur le calcul du ratio des prairies permanentes, ce qui va permettre de lever les contraintes réglementaires, dans les quatre régions concernées, dès la campagne 2024». Plusieurs demandes de la France ont donc été entendues sur la Bcae 1, particulièrement la prise en compte de la déprise de l’élevage dans le calcul des ratios de référence, ou encore la prise en compte des surfaces qui ne sont plus déclarées par des agriculteurs.
Satisfaction aussi concernant la jachère. «L’obligation de jachères est supprimée jusqu’en 2027 conformément aux propositions françaises», a affirmé le ministre devant un auditoire craignant «une marche arrière de Bruxelles». Désormais, la part minimale de surfaces en terres arables dédiée à des éléments et zones non productives ne sera plus exigée au titre de la conditionnalité. En contrepartie, les États membres sont tenus de proposer aux agriculteurs de leur pays des options d’éco-régime permettant de rémunérer des pratiques qui contribuent aux objectifs de maintien, création d’éléments et surfaces non productifs sur les terres arables, ce que la France propose déjà dans son Plan stratégique national.
Autre avancée accueillie avec satisfaction, la dérogation sur le calendrier d’entretien des haies.
Fin de semaine dernière, Fdsea, Ja, Chambre d’agriculture et Forêt Privée de Moselle avaient formulé, auprès du préfet de Moselle, une demande d’autorisation, afin de prolonger la période d’entretien des haies jusqu’au 15 avril. Les conditions météorologiques calamiteuses de cet automne et du printemps motivaient cette démarche collective.
Se tournant vers le préfet Laurent Touvet, Marc Fesneau a annoncé «le report d’un mois de la période d’interdiction de taille des haies pour les nombreux territoires touchés par les intempéries». La Moselle en fait partie.
Toujours dans le champ des exigences environnementales et de la conditionnalité, La Fdsea a interpellé le ministre sur les difficultés d’implantation des cultures de printemps en conséquence des excès de précipitations. «Nous avons mesuré 800 mm de pluie depuis novembre, mon assolement a dû être modifié huit fois, mes pois de printemps ne seront pas semés avec pour conséquence l’impossibilité d’accès aux éco-régimes», alerte Marc Schlemer, vice-président de la Fdsea. Toujours sur les conséquences de ces événements sur le respect des exigences de la Pac, Fabrice Couturier complète le propos, «Pour le respect de la Bcae 7 relative à la rotation des cultures, les exploitants sont dans une impasse».
Cas de force majeure
Pour répondre, Marc Fesneau a invoqué «le cadre relatif à la force majeure». Nous sommes dans une situation où le département de la Moselle doit pouvoir démontrer des circonstances exceptionnelles, climatiques, par exemple, anormales et étrangères à l’exploitant.
Aussi, pour ce qui concerne l’accès aux éco-régimes et pour déroger aux exigences de la Bcae 7, les services de l’État (Ddt) devront établir un zonage départemental fondé sur l’indice d’humidité des sols. Devrait intervenir ensuite, selon les informations diffusées par le ministère, et contrairement à la dérogation sur les entretiens des haies, une demande individuelle de la part de l’exploitant. En effet, l’administration ne peut pas identifier a priori l’assolement initial envisagé par les exploitants victimes des intempéries.
Le ministre n’est donc pas venu en Moselle les mains vides. Mais il repart avec une longue listes d’autres attentes fortes de la profession.
On a beaucoup parlé de fiscalité agricole à Oron, ce 18 mars. Sujet touffu et complexe où l’on a retrouvé des demandes parfois récurrentes, mais aussi plus d’actualité. Le président de l’association de gestion et de comptabilité, Marc Schlemer, était à la manœuvre. Réintégration des Dep, amortissement des reprises de parts sociales, coupe sombre dans le plafond de la défiscalisation des stocks bovins, ou encore suppression de la Tfnb, feront l’objet d’un mémoire que le ministre a commandé pour étayer les demandes professionnelles.
Du côté des Jeunes Agriculteurs, le passage de relais entre l’État et la Région suscite des critiques. Julien Viville témoigne «d’une mise en place difficile et d’un manque d’interlocuteurs». L’échange avec le ministre portera aussi sur le coût de la main-d’œuvre avec un focus sur l’apprentissage.
«Il vous faut des prix»
Plusieurs présidents de cantons du syndicalisme majoritaire ont symboliquement formé une haie lors de l’arrivée du ministre de l’Agriculture à la mairie d’Oron. Dans les rangs presque silencieux, une rumeur monte, la Fdsea alerte, «il nous faut des prix».
Le sujet a longuement été abordé durant l’échange qui a suivi. En toile de fond, le marché des céréales.
«Le prix du blé est tombé à son plus bas niveau depuis l’été 2020», «quand les coûts de production passent les 230 euros la tonne», tance Marc Schlemer.
Le marché européen est écrasé par une offre abondante en provenance de la mer Noire qui capte l’essentiel de la demande. Le ministre confirme l’analyse et précise : ce sont les débouchés historiques de l’Europe que la Russie inonde.
Dans «cette perspective de marché effondré», la profession tire la sonnette d’alarme, «les prochains mois s’annoncent très compliqués pour l’équilibre économique des exploitations», pointe le président de la Fdsea.
Deux pistes de travail animent les équipes du ministre pour répondre à une évidence, «il vous faut des prix».
Premier levier, l’encadrement des importations en provenance d’Ukraine. Mais là, les espoirs se sont effondrés avec l’accord de principe auquel sont parvenus les députés européens et le Conseil de l’Union européenne, dans la nuit 19 au 20 mars. La prolongation, jusqu’en juin 2025 de l’accès, sans droits de douane ni quota, des denrées alimentaires ukrainiennes, au marché intérieur des Vingt-Sept, souffle sur les braises d’un sujet très sensible. Seule éclaircie, la proposition prévoit d’élargir le système de «frein d’urgence», à l’avoine, au maïs, aux gruaux et au miel, permettant ainsi le rétablissement des droits de douane. Cette mesure existait pour la volaille, les œufs et le sucre, si le niveau des importations venait à dépasser les moyennes de 2022 et 2023. Le blé ne figure pas dans le texte.
Le second levier proposé par Marc Fesneau consiste à «retrouver les marchés historiques de l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte et du Maroc». Et dans ce défi, l’atout de France réside «dans la qualité de ses blés».
Les deux heures de discussions ont laissé la place à une longue liste d’autre sujets épineux comme la gestion des nuisibles, les pertes de molécules phytosanitaires, l’entretien des cours d’eau, les menaces sanitaires en élevage, les carences du système assurantiel, ou les retraites agricoles.
Marc Fesneau quitte donc le Saulnois avec dans ses bagages un cahier de doléances presque aussi copieux qu’à son arrivée.
La sortie de crise agricole se confirme être inscrite dans le temps long.