La coopérative pionnière de la production laitière issue de l’agriculture biologique s’inquiète des conséquences du déséquilibre entre l’offre et la demande. Sereine sur la dynamique d’installation, Unicoolait en appelle à une politique de prix attractive pour le métier de producteur de lait.
«Le marché du bio est plus difficile, car les achats des ménages en France sont en baisse alors que les livraisons de lait bio ont encore augmenté en 2022», a expliqué Jean-Luc Jacobi, dès les premières lignes de son propos introductif. Et si l’inquiétude domine pour ce segment de marché de la production laitière, c’est que la coopérative pionnière du bio en France observe un retour à la production conventionnelle, pour un certain nombre d’exploitations. Un phénomène qui s’ajoute, «au-delà de la restructuration naturelle», aboutissant à ce que des producteurs abandonnent le lait.
Pour Ludovic Estreich, secrétaire général de la coopérative, «c’est certainement un virage nécessaire en France pour passer d’une collecte de 1,2 milliard de litres à un marché qui n’absorbe que 800 millions». Fabrice Couturier pointera lui, «un rendez-vous manqué entre ce marché et l’engagement des producteurs dans la filière bio». Le président de la Frsea Grand Est a regretté, ainsi, la gestion administrative du développement de l’agriculture biologique sans cohérence avec la réalité de la demande du marché. Il a condamné une politique, «sous influence de groupes inscrits dans le militantisme plutôt que dans la réalité économique». «Nous sommes très loin des ambitions politiques de 20 % de bio en France», condamne Ludovic Estreich, «avec 5 % de lait bio, le marché est déjà saturé».
Retrouver un équilibre
La coopérative invite cependant les producteurs bio qui souhaitent le rester à «un peu de patience», le temps de voir «le marché se rééquilibrer». Ainsi, selon le président Jacobi, «il est important de ne pas jeter l’éponge trop vite car le bio a ses adeptes». Il espère que «le marché retrouve un équilibre», et la filière «un peu de sérénité au travers d’une juste rémunération des producteurs».
Mais pour l’heure, le compte n’y est pas. Le prix du lait bio, toutes primes et qualités comprises, s’élève à 498,93 €/1.000 litres. Soit une baisse de 4,79 € par rapport à 2021. Ainsi, le différentiel avec le lait conventionnel est de 36,56 €. «Cet écart est le plus faible enregistré depuis le démarrage de notre filière bio» a constaté Gilles Becker, vice-président d’Unicoolait.
En conséquence du décalage entre les livraisons de lait bio et la demande des consommateurs, la majorité des collecteurs ont arrêté de prendre en compte de nouvelles conversions. Unicoolait et son partenaire industriel, Lactalis, n’échappent pas au phénomène. Pour la coopérative, les dernières exploitations certifiées ont terminé leur conversion en début d’année 2022.
Ainsi, les volumes collectés dans cette filière à Sarrebourg sont de 39,3 millions de litres. Ils ont été soixante-quinze producteurs à les assurer, soit trois de plus qu’en 2021. Le bio pesait alors 37,2 millions de litres, et enregistrait déjà une progression de 10 % dans un contexte où, la consommation s’était orientée à la baisse. Suite à la demande du groupe Lactalis, et pour faire face à cette situation difficile, Unicoolait a collecté 6,9 millions de litres de lait bio en conventionnel, soit 17,5 % de la production certifiée. Cependant, la coopérative a rémunéré ce litrage au tarif bio.
Collecte en équilibre
Globalement, toutes filières confondues, la coopérative affiche une collecte en équilibre par rapport à celle de 2021. Unicoolait a ainsi ramassé 155,3 millions de litres, dont 116 millions en lait conventionnel.
Les exploitations ayant assuré ces volumes sont au nombre de 248, «soit six de moins que l’année précédente», constate Jean-Georges Berst, vice-président, avec «une restructuration dont les évolutions sont moins alarmantes que pour le reste de la France». Ainsi, la moyenne des livraisons de lait par point de collecte est en augmentation de 15.000 litres, et se situe à 626.400 litres. La densité de collecte, pour le lait conventionnel s’établit à 240 litres/km, en baisse de 0,4 %.
Prix en augmentation
Le prix du lait payé aux producteurs de la coopérative en 2022 est en augmentation. «Une augmentation indispensable pour faire face à l’inflation record sur nos coûts de production», selon Gilles Becker. Pour les livraisons de lait conventionnel 38/32, les producteurs ont perçu 449,31 €/1.000 litres, «en augmentation de 84,53 € par rapport à 2021, soit une progression de 23,2 %», constate Gilles Becker. Une hausse permise, selon le vice-président de la coopérative, par «une progression du couple beurre-poudre» dont les cours, à l’image des prix des produits industriels, avaient atteint des sommets en 2022.
Dans son analyse, Gilles Becker a pointé la loi Egalim 2 avec «un impact des coûts de production du lait non négligeable, au niveau des transactions avec la distribution». Mais il dénonçait, un prix du lait 2022 en France, «resté en dessous de celui de la plupart des pays européens». Centrale dans les propos de l’ensemble des intervenants à la tribune de l’assemblée générale, la question du prix a été montrée par le président Jacobi comme «un enjeu pour toute la filière, si notre métier doit garder une attractivité pour les jeunes». Et du côté du renouvellement des générations, Unicoolait revendique cinq installations en 2022 contre trois pour l’exercice précédent. Un nombre d’installations qui devrait progresser d’ici 2030, selon une enquête réalisée auprès des coopérateurs, pour atteindre une moyenne de sept à huit par an. Un chiffre encourageant pour Jean-Georges Berst qui revendique «un âge moyen des associés de notre coopérative de 48 ans», quand celui des producteurs de lait en France s’élève à 51 ans. Une dynamique saluée par le président de la Frsea, Fabrice Couturier, qui soulignait dans le profil des candidats à l’installation «une parité qui entre dans les fermes et dans les mœurs». Dans ce contexte, Unicoolait se retrouvera avec 200 exploitations laitières à l’horizon 2030, et un volume collecté équivalent à celui d’aujourd’hui.
Perspectives
Les certitudes de la coopérative ont quelque peu été pondérées par le directeur des achats de Lactalis. «Chaque matin planent de nouvelles incertitudes», a affirmé Serge Moly depuis la tribune. Décrivant «un environnement économique bien incertain», à l’image des perturbations subies ces trois dernières années, et rapportant des «négociations commerciales aux résultats mitigés», il projette «un avenir soutenu à la hausse de la demande et à la reprise de la consommation sur les marchés domestiques». Serge Moly a également fait partager son inquiétude quant à un environnement politique où «la défense du pouvoir d’achat», ouvrirait à nouveau «la guerre des prix». Un contexte nécessairement défavorable au prix payé pour les productions agricoles.
Quant au questionnement sur l’avenir du bio, le directeur des achats de Lactalis invitait à être «lucide sur le temps nécessaire pour retrouver un équilibre entre production et consommation». Autrement dit, il faudra être très patient.
Malgré la prudence du discours du représentant de Lactalis, Fabrice Couturier a rappelé «l’importance de la présence d’entreprises leaders sur leur marché, pour collecter et valoriser la production laitière». Il soulignait, cependant, la vigilance de la profession agricole sur «le partage de la valeur ajoutée», et invitait les collectivités à être exemplaires dans la commande publique afin de «donner la priorité aux productions locales, en permettant de rémunérer les producteurs au juste prix».
Dans son propos conclusif, la sous-préfète de Sarrebourg, Anne Lecard, a partagé l’inquiétude de la filière bio, invitant, elle aussi, «à la prudence» pour ce «fleuron de l’agriculture». Félicitant «l’objectif de sept à huit installations par an» de la coopérative, la représentante de l’État a rappelé «l’enjeu de la souveraineté alimentaire».