En plus de devoir supporter l’envolée des prix des carburants, les agriculteurs sont en perte de repères. Ces derniers jours, le prix du Gnr explose, alors que le prix du fioul et du gazole poursuit une tendance haussière comparable à celle des matières premières.
«La différence entre le prix du fioul et celui du Gnr est normalement de 2 à 3 centimes, il approche les 10 centimes et l’écart se creuse encore», faisait observer un agriculteur deux semaines après le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Inquiet de la répercussion de la hausse des prix des carburants sur ses coûts de production, il questionnait sur les raisons de ces trajectoires différentes. Allant même jusqu’à rapporter la tentation de braver des interdits en matière d’utilisation des différents carburants.
Décorrélation des prix
Pour alimenter la réflexion des élus de son réseau et pour informer les agriculteurs, la Fnsea a largement diffusé des éléments d’analyse d’une situation tout à fait exceptionnelle. Son service “Entreprise et Territoires” révèle plusieurs phénomènes expliquant la décorrélation entre les prix du fioul et du Gnr. Ainsi, si ces deux carburants apparaissent très proches, ce n’est pas exactement le cas. Leur composition et leur origine divergent. La différence majeure entre le fioul et le Gnr, qui n’est rien d’autre que du gazole routier coloré, est issue de la distillation du pétrole à un niveau supérieur à celui permettant d’obtenir du fioul. Il en résulte une teneur en soufre cent fois supérieure pour le fioul (0,1 %) comparé au Gnr (0,001 %). La pollution issue des émissions de dioxyde de soufre, lors de la combustion, explique la mise en place du Gnr, en 2011, de l’interdiction du fioul pour le transport et l’interdiction d’installation de nouvelles chaudières au fioul dès le 1er juillet 2022.
Différentes origines
Par ailleurs, le Gnr est soumis à la Tirib (ex Tgap), au même titre que le gazole routier, ce qui oblige les pétroliers à y incorporer un taux minimum de biocarburant, sous peine du paiement de cette taxe. Le fioul consommé en France est quasi exclusivement issu des raffineries françaises, donc moins sujet aux aléas des approvisionnements venant de l’est de l’Europe. Le Gnr consommé en France est à 30 % importé de Russie, notamment en raison des exigences d’incorporation de biocarburant. Si le taux d’incorporation est le même pour tous les carburants destinés au territoire français, le coût des biocarburants à intégrer n’est pas le même partout dans le monde. Un biocarburant de colza 100 % français coûte plus cher au fabricant de Gnr qu’un biocarburant issu d’huiles recyclées d’un pays dans lequel le coût de la vie est plus faible.
Pas le bon moment
Les écarts de prix de ces deux carburants s’expliquent aussi par leurs cycles d’utilisation. L’hiver qui s’achève, sonne la fin de la période de tension sur le fioul domestique. Ce qui explique la linéarité de la hausse. À l’inverse, chez les utilisateurs de Gnr (travaux publics et exploitants agricoles, notamment), la demande est croissante, avec d’une part, des réserves vides, en raison des prix hauts de l’hiver, qui justifient des livraisons hivernales modérées (surcoût du Gnr hiver en raison de sa forte résistance au froid), et d’autre part, une reprise importante de l’activité, notamment pour les travaux publics, avec le printemps qui s’annonce, mais également pour le secteur agricole avec les travaux de fin d’hiver et de printemps. Cela explique l’explosion de la demande sur le Gnr et donc le décrochage du prix vis-à-vis du fioul. Quant à la demande sur le gazole blanc (composition identique au Gnr), elle reste stable à ce jour. Aucune pénurie n’est donc à l’ordre du jour.
Attention danger
Le service “Entreprise et Territoires” de la Fnsea rappelle à juste titre que le fioul domestique comme le Gnr sont des produits sous condition d’emploi, c’est-à-dire qu’ils bénéficient d’une fiscalité avantageuse, à la condition impérative qu’ils soient utilisés conformément aux usages prévus. Juridiquement, l’usage de fioul domestique à des fins de carburant est strictement interdit et expose l’utilisateur à des sanctions. À noter que l’assiette de l’amende encourue, c’est-à-dire la quantité de carburant retenue pour calculer le montant de l’amende, peut reprendre l’intégralité des consommations estimées du véhicule, depuis son immatriculation.
Pas d’économie
D’un point de vue économique, avant d’envisager l’usage de fioul domestique en tant que carburant pour un tracteur, il faut prendre en compte le prix d’achat et la Ticpe. À 1.891 € Ttc/1.000 l, le Gnr revient à 1.426 € Ht/1.000 l, une fois le remboursement partiel de Ticpe obtenu et la Tva récupérée (20 %). Le fioul se négocie lui à 1.826 € Ttc/1.000 l. Faute de pouvoir justifier d’un usage agricole, la Tva n’est pas récupérable sur le fioul. Par ailleurs, il n’y a aucun remboursement partiel de Ticpe sur le fioul domestique. De ce fait, le coût de revient final du fioul domestique pour l’exploitant est égal à son prix d’achat Ttc ! La différence de coût de revient pour l’exploitant est donc largement en faveur du Gnr (400 € de moins pour 1.000 litres). Par ailleurs, la très forte teneur en soufre du fioul domestique entraine des problématiques de colmatage des différentes pièces des moteurs (au niveau de la combustion, mais également de l’échappement), mais aussi la défaillance des systèmes antipollution. L’opération est donc très mauvaise financièrement à moyen terme, particulièrement sur les moteurs les plus récents (Tier 3, 4 et 5), qui sont beaucoup plus sensibles à la qualité du carburant. Enfin, un usage soutenu et répété de fioul domestique laisse des traces aisément détectables dans un moteur, dont la seule présence peut permettre au constructeur de s’exonérer de sa garantie.