Les bons résultats présentés dans le cadre de l’examen du compte financier de la Chambre régionale d’agriculture ont été quelque peu occultés par un contexte de crise. Les dépendances énergétiques et alimentaires, révélées par le conflit entre l’Ukraine et la Russie, inquiètent. Cependant, les élus se sont engagés dans la perspective d’une filière agricole de gaz porté. Une façon de contribuer différemment à la souveraineté énergétique.
À l’exception de l’examen de son compte financier pour l’exercice 2021, tous les points de l’ordre du jour de la session de la Chambre régionale d’agriculture (Crage) réunie à Metz, le 11 mars, ont été l’occasion d’évoquer les conséquences du conflit entre l’Ukraine et la Russie. Même fil rouge dans les débats avec les membres de l’organisme consulaire ou ses invités. La déclaration de guerre de Vladimir Poutine et l’onde de choc, dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, impactent l’économie mondiale et tout particulièrement les secteurs agricole et agroalimentaire. Une situation de crise «alors que celle du Covid reste toujours présente par son énorme coût financier, nous devons enchaîner sur une autre encore plus grave qu’est la guerre en Ukraine». Un constat inquiétant dressé par le président de la Crage, Maximin Charpentier, rapportant «une situation exceptionnelle où chacun prend la mesure des impacts d’une guerre» aux portes de l’Europe. Si les analyses partagées laissaient chaque fois une place aux conséquences humaines du conflit, les dépendances énergétiques et alimentaires ont été les plus commentées. «La mondialisation nous a mis dans une situation d’interdépendance avec de nombreux pays», constate Maximin Charpentier. Un état de fait, pour lequel «les incidences d’une guerre» n’avaient pas été complètement appréhendées, selon le président de la Crage. Et «dans un contexte de marges trop serrées» pour les agriculteurs, «en élevage particulièrement», «la seule solution pour faire face, impactera le pouvoir d’achat des consommateurs».
Souveraineté alimentaire
Une analyse partagée par Hervé Lapie. Le président de la Frsea s’est fait fort de rappeler «le pragmatisme du monde agricole, défendant de longue date, et en particulier lors des réformes successives de la Pac, la nécessité de garantir la souveraineté alimentaire de notre territoire et de développer les énergies renouvelables». La guerre remet ainsi sur le devant de la scène une ligne de fond des combats du syndicalisme agricole. Aussi, dans un contexte où les disponibilités en grains de l’ancienne et la future récolte ukrainienne deviennent incertaines, Hervé Lapie alerte, «il faudra produire sur toutes les surfaces disponibles». «Hors de question de mettre 3 ou 4 % de nos fermes en jachère» prévient le patron de la Frsea. Et pour produire, chacun sait le poids du prix des carburants. Les cours s’envolent littéralement. Et plus grave encore, se pose la question de l’accès aux volumes nécessaires.
Prioriser les livraisons de carburant
Sur cette question cruciale, Martine Cordel (membre du collège chefs d’exploitations) proposait de reprendre une motion élaborée la veille en session départementale à Metz. La profession y demande que le secteur agricole soit prioritaire dans les livraisons de carburants, au même titre que les secteurs de la santé ou des transports. Au-delà des mesures d’urgence, Jérôme Mathieu invitait à dépasser le «problème du Gnr, partie visible de l’iceberg, pour collectivement travailler à l’évolution de nos pratiques». «Nous devrons consommer moins de fuel», affirme le président de la Chambre d’agriculture des Vosges. Mais dans l’immédiat, Germain Bach interpellait le représentant de l’État pour une communication des plus rapides des mesures du «plan de résilience promis par le président Macron». Le représentant des Jeunes agriculteurs témoignait de l’impact déjà mesuré sur son coût de production laitier. «Le Gnr, c’est 40 € des 1.000 litres, il faut ajouter 40 € pour l’aliment». Germain Bach prévient «il faut faire très vite». Et pour Maximin Charpentier, ce soutien de l’État devra s’accompagner d’un effort du consommateur. Anne Bossy, directrice régionale de l’Agriculture, a quelque peu refroidi les attentes exprimées. «Le plan de résilience annoncé par le président à l’ouverture du Salon de l’agriculture ne sera pas un quoi qu’il en coûte, il sera ciblé», prévient la représentante de la préfète de Région Grand Est. Alertant sur «la mise en place d’une Task Force destinée à la construction des mesures à prendre», elle invitait les différentes filières, «au niveau local», à faire remonter «des idées d’actions spécifiques».
Gaz porté
Dans un contexte de crise où le thème de l’énergie rime avec volatilité des cours et restrictions, le président de la Crage avait porté à l’ordre du jour le sujet du gaz porté. Une façon de donner des perspectives de moyen terme. Le concept de gaz porté dissocie le lieu de production du gaz et le lieu de sa valorisation. Là où réside l’innovation, c’est en transportant le biométhane sous sa forme liquide. Liquéfier au lieu de compresser, c’est diviser par huit le nombre de transports. Mais l’innovation où l’organisation consulaire souhaite aller, c’est l’acheminement de ce gaz porté vers une installation de craquage de la molécule de méthane. Le biogaz liquéfié, une fois traité, permet d’obtenir un gaz à 70 % d’hydrogène. Une piste qui, selon le président de la Chambre d’agriculture d’Alsace, Denis Nass, emmènera «dans un mouvement de grande mutation d’économie décarbonnée». Le coût de fabrication de cet hydrogène revient à 7 € contre 16 € pour l’hydrogène produit par la filière plus classique ; connu de tous les étudiants passés en cours de chimie, l’hydrolyse. Les événements géopolitiques récents encouragent à accélérer la transition énergétique et, pour le secteur agricole, le développement de la filière biogaz. La technique du gaz porté permet de dépasser les limites physiques des capacités des points d’injection dans le réseau. Et le craquage de la molécule de méthane ouvre des possibilités que Maximin Charpentier invite à raisonner à l’échelle des territoires. «On passe ramasser le gaz dans toutes les fermes comme on ramasse aujourd’hui le lait». Pour l’élu, «la massification du gaz porté permet l’implication de toutes les tailles d’exploitations sans concurrence avec les productions alimentaires». Une nouvelle filière «où les agriculteurs doivent être au capital pour se garantir le retour de la valeur ajoutée», affirme le président de la Crage.
Souveraineté énergétique
Quant à l’utilisation de cet hydrogène, Maximin Charpentier imagine des stations à la ferme, avec des tracteurs sans Gnr dont les moteurs tournent à l’hydrogène. «Ce n‘est pas demain matin, mais pour après-demain», présage l’élu, convaincu de l’intérêt pour son réseau de faire la démonstration «d’innovation dans le Grand Est sur la compétitivité du gaz porté en agriculture». Très concrètement, la profession va solliciter la Région dans l’accompagnement de l’adaptation de chaque cuve de stockage d’effluents d’élevage pour servir une filière régionale de production de biogaz. Une façon également de transformer la contrainte de la mise aux normes dans les zones vulnérables, en opportunité vers la souveraineté énergétique.