Interview de Benjamin Lammert, président de la FOP*
La Fop et l’interprofession des huiles et protéines végétales, Terres Univia, viennent de publier un manifeste en vue des élections européennes intitulé «Pour un new deal entre la société et son agriculture». Pourquoi ce manifeste ?
- Benjamin Lammert : «Nous l’avons publié pour de nombreuses raisons, la première étant sans doute de mettre le doigt sur l’avenir de notre agriculture, en particulier le secteur des oléoprotéagineux, qui est soumis depuis quelques années déjà, à d’innombrables injonctions contradictoires. Nous voulons attirer l’attention des députés de la prochaine mandature européenne sur le décalage entre d’un côté, les intentions de la Commission européenne avec le Green Deal et le Farm to Fork et de l’autre, les réalités du terrain. Le concept du Green Deal, contrairement aux politiques américaines, n’a pas décollé. C’est d’ailleurs ce que nous avions mis en évidence lors de notre dernière assemblée générale en présence de l’attaché agricole de l’ambassade des États-Unis».
- C’est-à-dire ?
- B. L. : «Aux États-Unis, les objectifs politiques, à l’exemple de l’Inflation Reduction Act, sont concrètement déclinés sous forme d’études d’impact, de mesures d’accompagnement, d’incitations fiscales, de réductions d’impôts. Quant au Green Deal, il reste dans le flou artistique. Ce que nous demandons à travers ce manifeste, c’est plus de lisibilité dans les attentes de la Commission et des colégislateurs, mais aussi et surtout plus de stabilité et d’investissements. Il faut une réelle stratégie avec une hiérarchisation et une priorisation des programmes. Ainsi, la France importe encore 45 % des besoins en matières riches en protéines végétales et l’Union européenne 70 %. C’est tout le sens de l’action de la Fop d’encourager toujours davantage les productions oléoprotéagineuses dans le cadre des systèmes de production de grandes cultures pour favoriser la souveraineté protéinique de la France et aller vers des débouchés traçables, durables, de qualité et rémunérateurs».
- Il faut pour cela que les débouchés commerciaux soient au rendez-vous. Quels sont vos leviers de compétitivité ?
- B. L. : «Ils sont de plusieurs ordres. Le premier d’entre eux est de pouvoir dégager de la rentabilité, ce qui suppose que l’on préserve nos capacités de production et si possible que l’on puisse nous donner les moyens de les développer. Je rappelle qu’il existe en France un plan protéines végétales. Son objectif est d’atteindre 2 millions d’hectares de légumineuses en 2030, soit 8 % de la Sau cultivée. La stratégie prévoit également de préserver les surfaces oléagineuses (colza et tournesol) à hauteur de 2 millions d’hectares. Nous visons une autonomie en matières riches en protéines de 60 % à horizon 2030. Ce plan repose en particulier sur le doublement des surfaces en légumineuses à graines (soja, pois, féveroles, lentilles…) pour atteindre 1 million d’ha. Un autre enjeu est de limiter les distorsions de concurrence qui existent toujours au sein de l’Europe à 27 et avec les pays tiers».
- À quoi pensez-vous ?
- B. L. : «Au marché de la décarbonation avec le stockage carbone et les biocarburants notamment. La Commission de Bruxelles nous donne aujourd’hui l’impression qu’elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous écarter de ce marché et empêcher le monde agricole de s’engager dans cette solution pourtant profitable à tous. Ce sentiment est d’autant plus prégnant chez les agriculteurs qu’aujourd’hui, les niveaux de prix pour le stockage carbone sont peu attractifs : environ 32 à 35 euros/tonne pour l’agriculture. Les faire grimper à plus de 90 euros/tonne, voire 100 ou 120 euros/tonne pourrait rendre le dispositif plus attractif et ainsi embarquer plus de monde. Sur les biocarburants, nos producteurs commencent à être concurrencés par les graines ukrainiennes.
Parce que ses infrastructures de transformation ont été touchées et ses relations commerciales perturbées, l’Ukraine exporte directement ses graines de colza vers le marché européen et celles-ci pèsent sur le marché et peuvent contribuer à la production de biocarburants. Il serait donc souhaitable, en cas de prolongement de cette hypothèse, d’ajuster les plafonds d’incorporation dans les biocarburants de la première génération, et passer au-delà des 7 % réglementaires contribuant ainsi à l’atteinte des objectifs européens de décarbonation».
- Sur ce dossier des biocarburants, avez-vous aussi l’impression que la Commission navigue à vue ?
- B. L. : «Il ne vous a pas échappé que l’huile de palme a été interdite dans l’incorporation des biocarburants en 2020. En revanche, l’huile de palme usagée qui est considérée comme un déchet et sur laquelle ne pèse plus aucune contrainte carbone puisqu’elle a été utilisée, peut toujours être incorporée. Or, que voit-on dans les faits ? Que la Commission encourage l’usage de cette huile usagée en estimant qu’un litre d’huile de friture équivaut à deux litres de biodiesel issu des oléagineux (compte double). Le système est d’autant plus incitatif qu’avant l’interdiction, l’Europe importait chaque année deux millions de tonnes (Mt) d’huile de palme. Depuis son interdiction, elle importe 3,5 Mt d’huile de palme usagée. Tous les experts s’accordent pour dire qu’il est impossible de produire un tel volume sans utiliser d’huile de palme non usagée. Il n’y a donc pas de doute sur le caractère frauduleux d’une partie de ces produits importés qui sont fort probablement issus non pas d’huiles usagées mais d’huile de palme.
Cette huile de friture sciemment déforestée est une concurrence déloyale à l’égard des biocarburants français et européens et de nos producteurs. Selon une Ong environnementale, la Chine fournit plus d’un tiers (34 %) des importations européennes d’huile de cuisson usagée, tandis que près d’un cinquième (19 %) provient des grands producteurs d’huile de palme que sont la Malaisie et l’Indonésie réunis. Le volume de ces importations pèse de fait sur le marché des graines européennes et sur leur prix, ce qui explique à la fois la baisse du prix des huiles de colza ainsi que celle du bonus gaz à effet de serre (Ges) en Europe. À ce tarif-là, comment ne pas décourager les agriculteurs ?».
- Pour en revenir au manifeste en vue des élections européennes, comment comptez-vous le faire vivre ?
- B. L. : «Nous avons rencontré de nombreux députés européens à l’occasion du Salon de l’agriculture. Ce texte a également été transmis au Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (Copa). Avec notre interprofession Terres Univia, nous allons le déployer auprès des instances bruxelloises et le faire parvenir aux candidats qui se présentent le 9 juin.
(*) Fédération française des producteurs d’oléagineux et protéagineux