Devant près de 400 personnes réunies à l’occasion de l’assemblée générale de la Fdsea, les présidents de la coopérative Sodiaal, de la Confédération française de l’aviculture, et le directeur commercial régional de John Deere ont livré leur analyse des perspectives de gain de compétitivité pour les filières agricoles françaises.
De toute évidence, la question de la compétitivité de l’agriculture française s’impose quelle que soit la filière. Et pour cause, elle recule. «Elle recule dangereusement au point de mettre en péril la pérennité de certaines productions», constate Fabrice Couturier. Impasses techniques, coûts des facteurs de production, fiscalité, accords de libre-échange, pression sociétale, ou plus généralement le ciseau des prix, les raisons de la perte de compétitivité sont multiples.
Devant ce constat, la Fdsea a souhaité proposer, à l’issue de ses travaux statutaires, un temps de réflexion dédié à la productivité en agriculture.
«Le but est d’apporter des réponses aux problématiques actuelles des agriculteurs, ou simplement des éléments qui permettent à chacun de se projeter, dans son exploitation, ou au sein de sa filière», explique Fabrice Couturier, animateur de la table ronde. Et «pour se projeter, il faut s’informer et comprendre».
Autour de lui, Damien Lacombe, président de la coopérative laitière Sodiaal, Jean-Michel Schaeffer, président de la confédération de l’aviculture française (association spécialisée de la Fnsea), et Loïc Lepoivre, directeur commercial régional du tractoriste John Deere.
Tous ont inscrit leur propos dans un contexte où «les coûts de production explosent, et les prix de vente baissent. La concurrence sauvage de pays moins-disants en matière de normes plombe nos parts de marchés, y compris à l’intérieur des frontières de l’Europe». «Réglementation environnementale étouffante, pression sociétale très forte, remettant en cause les modes d’élevage et l’utilisation des phytos ou des engrais», complétant un cadre peu propice à la compétitivité de la Ferme France, et où «nos façons de faire sont clairement remises en cause».
En dépit de ce contexte difficile, chacun a souhaité se projeter en proposant des solutions de nature à dépasser les obstacles.
Les volailles sous contrat
«La règle, c’est que tout le monde est contractualisé», pose Jean-Michel Schaeffer, en préambule. Pour cette filière historiquement exclue de la Pac et ses subsides, «le contrat est indexé sur le gros des charges que sont le poussin et l’aliment». Et si les négociations se poursuivent encore pour inclure d’autres critères, «l’éleveur bénéficie d’une sécurité de marge au mètre carré de poulailler».
Cette généralisation de la contractualisation permet, collectivement, aux producteurs de passer des hausses avec la grande distribution en cohérence avec l’évolution des coûts de production.
Le bémol de cette organisation réside dans le second paramètre de la constitution du revenu des producteurs de volailles : le volume. «Aujourd’hui, toutes les filières de montée en gamme sont en grande difficulté, puisque les bâtiments sont de moins en moins occupés», constate Jean-Michel Schaeffer, même s’il avoue que «pour l’instant l’Est de la France est épargné».
Paradoxe
«On ne produit pas pour un citoyen, mais pour un consommateur», alerte Jean-Michel Schaeffer. Un postulat qu’il n’a de cesse d’objecter aux élus focalisés sur les attentes de la société, et demandent aux éleveurs de monter en gamme. Et ce consommateur, de plus en plus demandeur de viande de volaille, achète du poulet standard «le poulet premier prix», dans une Europe qui «importe un million de tonnes de viande de volaille» par an, «soit un quart de la consommation de blancs de poulet et qui entrent deux fois moins chers sur notre marché». Paradoxe ultime, ces volumes importés ne sont pas produits selon les mêmes règles que les nôtres. Brésil, Ukraine ou Thaïlande ne connaissent pas nos contraintes sanitaires, ce qui conduit à des accords de libre-échange déséquilibrés, en défaveur des producteurs français. Aussi, pour retrouver de la compétitivité, Jean-Michel Schaeffer attend du président «qu’il mouille la chemise à Bruxelles pour faire évoluer les règles du jeux». On parle ici de clauses miroir exigées par la profession agricole pour toutes les importations. C’est à ce prix que la filière volaille aura accès aux marchés de la Rhd ou des produits transformés, et contribuera à nouveau à la reconquête de la souveraineté alimentaire.
Autre levier essentiel pour le président de la confédération française de l’aviculture, l’étiquetage. L’identification de la production française dope nos parts de marché dans la grande distribution. Mais l’étiquetage dans la Rhd n’est pas appliqué alors qu’un décret a été signé en ce sens. «Il faut des contrôles et un étiquetage étendu aux produits transformés», invective Jean-Michel Schaeffer.
La simplification sera aussi une piste de gain de productivité. Simplification dans la transcription des directives européennes, par exemple, ou autre exemple, les règles d’urbanisme pour la construction de bâtiments d’élevages.
Un lien très fort avec le consommateur
Autre filière, autres solutions. Damien Lacombe, président du groupe coopératif lait Sodiaal, prévient, «ce qui peut être une bonne solution pour certaines filières», le laisse dubitatif concernant la production laitière. Il est question de la contractualisation.
«La particularité de la filière laitière», selon le patron de Sodiaal, «c’est le lien très fort avec le consommateur». Ainsi, il décrit le producteur de lait coopérateur, comme «un éleveur possédant ses outils de transformation». «Je ne vends pas mon lait à la coopérative, je vends des yahourts Yoplait, des bouteilles de lait Candia et des fromages Entremont». Cette conception du lien entre le producteur et le consommateur est «capital, vital» selon Damien Lacombe «pour tracer des perspectives positives dans la filière laitière, et mieux valoriser nos produits laitiers».
Sur la question de la souveraineté alimentaire, le lait se distingue de la volaille par une balance commerciale positive «de l’ordre de 2,5 milliards d’euros» et «un taux de couverture de nos besoins de 117 %». Mais la perspective d’une France importatrice nette approche à grands pas. Damien Lacombe évoque 2027. Et si les déterminants de cette évolution sont déjà inscrits jusqu’à cette échéance, «tout notre travail sera d’inverser cette tendance après 2027». Le président du groupe coopératif pointe ainsi «le challenge extrêmement fort autour du renouvellement des générations», «avec la question centrale du prix du lait qui doit continuer à monter».
La loi Egalim
La loi de modernisation de l’économie en 2008, a donné à la grande distribution des moyens énormes de négociation. «Les filières agro-alimentaires entre 2010 et 2018 ont perdu un milliard d’euros de valeur ajoutée tous les ans au profit de la distribution, et en partie des consommateurs», constate Damien Lacombe qui affirme «la légitimité des 25 % de prix repris ces deux dernières années». La loi Egalim a été nécessaire «pour inverser les choses». Même si du travail reste à faire «pour faire marcher ce qui a été élaboré dans la loi». En particulier sur la question de l’origine. Un atout essentiel pour cette filière «qui exporte l’équivalent de 40 % de la production, avec des produits identifiés France qui se valorisent très bien».
Pour ce qui est de la compétitivité à venir de la filière laitière française, Damien Lacombe s’affiche confiant. «Le marché mondial ne va pas s’effondrer, avec des perspectives de parts de marché valorisantes», selon le patron de Sodiaal. Quant au marché intérieur, il y voit des possibilités «de confirmer et d’aller plus loin dans la valorisation auprès des consommateurs français en jouant le lien consommateur, producteur grâce aux marques fortes de la coopérative», «et en répondant aux attentes de nos consommateurs en matière d’environnement, et l’empreinte carbone, mais à la vitesse où nous, producteurs, nous pouvons les traiter». Et de citer la mise en œuvre par la coopérative de la «prime durabilité touchée par 84 % des adhérents, et qui valorise le travail déjà fait par les producteurs de lait».
La donnée, carburant des technologies
Les tractoristes «embarquent» de plus en plus de «technologies dans leurs machines, pour permettre aux agriculteurs de produire plus et mieux». Nous sommes au cœur de la commande passées par le président de la Fdsea pour cette table ronde consacrée à «la compétitivité et innovation, des leviers pour notre revenu».
Pour illustrer une des facettes de l’amont de la production agricole, le directeur commercial régional de John Deere a proposé un inventaire de solutions «dont une partie est déjà en production», donc accessible aux utilisateurs.
Sujet d’actualité qui dépasse le seul secteur de l’agrofourniture, la motorisation. Qu’en est-il de l’électrique ? Est-ce une piste pour sortir de l’énergie fossile dont les cours, au-delà de leur volatilité, grimpent ? «Vous ne verrez pas demain un tracteur électrique», affirme Loïc Lepoivre. La solution s’avère «technologiquement impossible pour répondre aux besoins des agriculteurs». Mais les constructeurs travaillent tout de même à «optimiser la transmission de manière à consommer moins de carburant». Ainsi, «sur une transmission de tracteur, toutes les composantes hydrauliques sont remplacées par de l’électrique, alimentées par le moteur thermique». La solution peut être étendue aux outils attelés, dotés, eux aussi, de propulseurs électriques, par exemple.
«L’agriculteur peut ainsi faire l’acquisition d’un tracteur moins puissant, tout en ayant le même niveau de traction et de productivité, et donc consommer un peu moins de carburant», explique Loïc Lepoivre.
Autre piste stratégique des tractoristes, la taille des machines. «Ces quarante, cinquante dernières années, la réponse à l’évolution de la taille des exploitations a été l’accroissement de la taille des machines». Tassement des sols et circulation routière ont atteint des seuils. Quelles alternatives aujourd’hui ?
«Grâce à la technologie embarquée», le gabarit suit maintenant une tendance inverse, «les tailles de matériel se réduisent», compensées par «la vitesse de déplacement des machines dans les champs».
La technologie a été également déterminante pour «passer d’un raisonnement à la parcelle, à un raisonnement à la zone» à l’exemple des économies d’intrants permises par le guidage Gps. «Nous avons des technologies qui permettent maintenant de moduler jusqu’au rang ou de guider une machine sur le rang» grâce à la caméra embarquée couplée au Gps. «Aujourd’hui, se finalise des solutions technologiques qui vont vous permettre de raisonner à la plante», annonce Loïc Lepoivre.
L’enjeux de ces nécessaires évolutions sera de «répondre à des contraintes» liées au changement climatique, avec «des fenêtres d’interventions plus étroites et des temps de décisions plus courts en optimisant votre réponse aux besoins, non plus de la parcelle ou de la zone, ni le rang, mais de la plante».
La clé de ce challenge, «une donnée structurée collectée par des capteurs et diffusée par des modems vers les serveurs du constructeur». John Deere équipe ses machines depuis 2011. Dans cette stratégie, «les données sont le carburant de la technologie pour aider à prendre les bonnes décisions». À la clé de ces évolutions, Loïc Lepoivre promet «pour la pulvérisation sur des cultures en rangs, des économies d’intrants jusqu’à 70 %». Mais à quel prix ? Un nouveau modèle économique devrait être proposé avec des coûts d’acquisition «bas» auxquels s’ajoutent un coût d’utilisation lié à l’utilisation effective de la technologie.
Enfin, bien que la législation européenne ne le permette pas encore, le tractoriste propose à ses clients outre-atlantique, des tracteurs autonomes. Une solution face à la pénurie de main-d’œuvre.