Face aux enjeux de sécurité alimentaire posés par le conflit russo-ukrainien, la Fdsea demande au Gouvernement de positionner la souveraineté alimentaire en priorité absolue des politiques publiques. Fabrice Couturier, président de la Fdsea de la Moselle, remet en question la logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne.
De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour affirmer que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a remis au centre des débats la fonction nourricière de l’agriculture européenne. Un mal pour un bien ?
- Fabrice Couturier : «On ne peut pas mettre les deux arguments de ce constat sur les plateaux d’une même balance. Le conflit russo-ukrainien, quelle qu’en soit l’issue, restera un drame. Par ailleurs, nous n’avons de cesse d’interpeller les gouvernements successifs sur les enjeux de la souveraineté alimentaire. La Fnsea tient ce discours quand elle dénonce les risques des accords de libre-échange. C’est le même combat que nous menons avec notre réseau quand la suppression, à marche forcée, des solutions de phytopharmacie ampute notre productivité. Zones de non traitement (Znt), zones vulnérables, plan polinisateur, plan climat, toutes ces négociations que nous menons sont motivées par la nécessité de préserver notre potentiel de production. Dans les réformes successives de la Pac, nous défendons, là encore, une agriculture de production. Avec une Europe dépendante de la Russie et de l’Ukraine pour plusieurs produits agricoles, et particulièrement les grandes cultures, il y a enfin une réelle prise de conscience. À eux deux, ces pays représentent plus de 20 % du marché mondial des céréales».
- Comment compenser le manque d’approvisionnement ?
- F. C. : «Si l’urgence est bien de compenser le manque d’approvisionnement, il faut aussi se prémunir d’un tel scénario catastrophe en retrouvant une solide souveraineté alimentaire. Sécuriser l’alimentation des populations impose de libérer notre potentiel de production».
- La présidence française du Conseil de l’Union européenne évoque des leviers réglementaires de la nouvelle Pac. Qu’en pensez-vous ?
- F. C. : «C’est le cadre même de la politique européenne qui doit être remis sur le métier. La logique de décroissance, qui a prévalu dans la construction de la stratégie européenne “De la ferme à la table”, doit être profondément remise en cause. Je pense en particulier au Green deal européen. Il fixe un objectif de réduction de l’usage des pesticides et des engrais, projette 25 % de surfaces en agriculture biologique sans lien avec la réalité du marché, 10 % de surfaces devraient être consacrées à la nature. Mais personne ne pose la question du financement des pertes de compétitivité qu’imposent pour nous ces mesures. 4 % de jachère, c’est de la production agricole en moins. On ne peut pas défendre honnêtement le principe même de la souveraineté alimentaire et dans le même temps, imposer ce type de contraintes aux entreprises agricoles. Le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, qui est un fervent défenseur des orientations prises jusqu’à aujourd’hui, reconnaît que la sécurité alimentaire est en danger».
- Avez-vous des propositions concrètes ?
- F. C. : «Nous proposons, sous la bannière de la Fnsea, d’utiliser les terres en jachère pour cultiver des protéagineux. Mais, le plus efficace, serait de supprimer le principe de la jachère. Libérer notre potentiel de production, c’est également s’affranchir du dogmatisme dans toutes les questions environnementales. Il faudra également mobiliser tout le potentiel foncier disponible. Sur ce point précis, ce n’est pas seulement une préoccupation de la profession agricole. Toutes les collectivités doivent en prendre la mesure. Il faudra impérativement et rapidement trouver des solutions à la question de l’appui aux filières victimes de cette crise géopolitique pour passer ce cap et maintenir notre potentiel de production».